Fauré & Friends
Enescu, Hahn, Saint-Saëns
Sortie le 6 Septembre 2024
Irène Duval, Violon – Angus Webster, Piano
HAHN: Romance in A Major (1901) 5’
FAURE: Berceuse op.16 (1879)
FAURE: Andante B flat major op.75 (1897) 4’
ENESCU: Sonata 2 F minor op.6 (1899) 22’
SAINT-SAENS: Berceuse op.38 (1871) 5’
FAURE: Romance B flat major op.28 (1883) 5’
FAURE: Sonata 2 E minor op.108 (1916-17) 24’
FAURE: Morceau de lecture (1903) 2’
« Pour moi, l’art, la musique surtout consiste à nous élever le plus loin possible au-dessus de ce qui est. » Gabriel Fauré
Fauré embellit la vie. Il nous transporte vers un monde idéal aux multiples reflets, aux multiples nuances harmoniques, dans un flot musical et rythmique continu. La chaleur de sa musique chante, console, emplit de joie, et exulte! L’année 2024 marque le centenaire de sa mort, et avec ce programme j’ai souhaité le célébrer entouré de ses amis Georges Enescu, Camille Saint-Saëns, et Reynaldo Hahn. Chacune de leur pièce est couplée à l’une de Fauré.
La première, Romance en La Majeur de Hahn, composée vers 1901, est dédiée à Gaspar Marcano (1850-1910), ethnologue et chirurgien vénézuélien à Paris. Né en 1874 à Caracas, Hahn a 4 ans lorsque sa famille part s’installer en France. Il développe un talent précoce pour la musique, l’apprentissage des langues, et son premier cycle de mélodies « Les chansons grises » est édité par la maison Heugel à ses 19 ans. Le chant a toujours occupé une place importante dans sa vie et quand je joue ses œuvres, je ne peux m’empêcher de m’imaginer l’entendre chanter au piano, « une cigarette au coin de la bouche »… Sa Romance semble être la première pièce pour violon et piano qu’il ait écrite. Sa sonate puis Concerto pour l’instrument suivront en 1926. La mélodie est simple, charmante et chantante, et violon et piano conversent dans un dialogue plein d’expression.
Comme son amant puis ami Marcel Proust, Reynaldo Hahn a beaucoup d’admiration pour Gabriel Fauré. Il lui dresse un magnifique portrait en préambule de quatre concerts consacrés à sa musique, le 29 Avril 1914, à l’Université des Annales*.
En voici un extrait :
« Il est demeuré dans la glorieuse maturité ce qu’il était à l’adolescence. Les poètes tels que lui demeurent toujours des enfants par je ne sais quelle fraîcheur de l’âme qui ne s’altère jamais ; ils traversent la vie, ils souffrent, ils sont blessés, ils sont envahis souvent par les ténèbres, mais ils conservent dans quelque coin mystérieux de l’être un point sacré, candide, invulnérable, que rien ne peut flétrir ou ternir. »
Ce musicien poète, Gabriel Fauré, avait alors 68 ans et son catalogue pour violon et piano comportait une Sonate en La majeur op.13, une Berceuse op.16 (1879) devenue bien fameuse, une Romance op.28 (1883), et un Andante op.75 (1897). Ces trois dernières se trouvent dans cet enregistrement :
Berceuse, op.16 : fut dédiée à Mme Hélène Depret, créée par Ovide Musin et le compositeur au piano à la Société Nationale de Musique (SNM) en février 1880, puis arrangée pour violon et orchestre. Bien que Fauré n’accordait pas une grande importance à cette petite pièce, elle connut un énorme succès et cela lui permit d’attirer l’attention de l’éditeur Julien Hamelle.
Romance, op.28 : dédiée à Arma Harkness, elle fut inspirée par les montagnes de Cauterets en France où Fauré passa une partie du mois d’Août 1877. Dans une lettre à son amie Marie Clerc, il lui dit : « elle est comme ça (dessin): c’est-à-dire d’un contour qui rappelle les crêtes des montagnes! A la première audition j’ai obtenu un succès de grincement de dents; à la seconde la lumière s’est faite un peu et à la troisième le ruisseau limpide qui court dans la verte prairie a servi de terme de comparaison! Quel dommage qu’on ne puisse pas toujours commencer par la troisième audition! »
Andante, op.75 : dédié à Johannes Wolff, il fut créé le 22 janvier 1898 par Armand Parent et Germaine Polack. Quelle magnifique pièce que cet Andante ! Jean-Michel Nectoux, dont les recherches et écrits sur le compositeur sont des trésors, suppose que certains de ses thèmes auraient appartenu au 2ème mouvement de son Concerto pour Violon inachevé… Malheureusement, aucun manuscrit ne subsiste mis à part celui du premier mouvement… Nous ne saurons jamais ! Petite surprise… le Morceau de lecture (sans opus)… Gabriel Fauré alors professeur de piano écrivit cette pièce pour une épreuve de lecture à vue au Concours d’entrée du Conservatoire le 24 Juillet 1903. Il en résulte une belle et rêveuse mélodie…
Parmi les interprètes des concerts consacrés à Fauré à l’Université des Annales, figure le génial Georges Enescu ! Il ouvre le 3ème Gala jouant la première sonate pour violon et piano avec Fauré au piano. (Le 20 mars 1920 ce sera la deuxième sonate avec Marcel Ciampi à la SNM)
Né en 1881 en Moldavie roumaine, Enescu manifeste des dons extraordinaires pour la musique. Après quelques années à Vienne, il part étudier la composition (entre autres) à Paris avec Gabriel Fauré ; il a alors 14 ans. Il se confie plus tard à Bernard Gavoty : « A l’âge de quatorze ans, alors que je me promenais seul dans le jardin du Prince Maurouzi, un thème me vint à l’esprit. Je le gardais en moi pendant trois années; puis à dix-sept ans, j’écris ma Seconde Sonate pour Violon en l’espace d’une quinzaine de jours.’
Sonate n°2, op.6 (1899) : dédié à Jacques Thibaut qui en fit la première avec Enescu au piano.
De multiples fois ai-je entendu la formidable 3ème sonate pour violon d’Enescu, mais qu’en était-il de la précédente? A la première écoute de celle-ci, j’ai tout de suite eu la sensation d’entendre l’influence de Gabriel Fauré; par les grandes lignes mélodiques, les changements harmoniques si singuliers et subtils, la délicatesse de l’écriture… J’étais happée par le mystérieux du tout début de la pièce, (le thème principal) une longue phrase sinueuse énoncée à l’unisson par les deux instruments. L’atmosphère du premier mouvement est très particulière, entre agitation, recherche, passion, inquiétude… Il est dense et tourmenté, mais se termine dans une plainte qui s’éteint progressivement avec un rappel du premier thème… Puis, vient la formidable sensation que l’histoire continue avec le deuxième mouvement: une mélopée qui s’apparenterait à une vieille chanson roumaine, une sorte de Doïna au violon. La Roumanie chère à Enescu se fait entendre subtilement et la musique nous laisse flotter dans un monde de rêverie nostalgique, intime et lointain. Le thème du 1er mouvement réapparaît discrètement à la fin également, sous forme de question s’enchaînant sur le 3ème mouvement. Et là, enfin de la légèreté ! Enescu s’amuse dans un style populaire roumain festif et espiègle dans lequel un thème bien familier refait surface dans un caractère tout autre ! Puis pourquoi pas en majeur ? Le deuxième thème intime et rêveur du second mouvement se fait entendre avant le dénouement final, qui rappelle le 1er mouvement, et le cycle se referme avec un dernier énoncé à l’unisson du premier thème transformé de la sonate. Avec humour !
L’unité et l’écriture de cette œuvre sont un bijou et c’est incroyable de se dire qu’Enescu n’avait alors que 17 ans.
Un autre génie, qui fut le professeur de Fauré adolescent à l’Ecole Nidermeyer, est Saint-Saëns, né en 1835 à Paris. Il fut l’un des plus proches amis de celui-ci pendant près de soixante ans. Sa Berceuse, op 38 (1871),dédiée à Paul Viardot, (fils de la célèbre cantatrice Pauline Viardot) et est pleine d’insouciance, de charme, et l’inventivité et l’humour de Saint-Saëns y sont évidents. Entendez-vous les cloches de Frère Jacques au piano vers la fin de la pièce?
La Sonate n°2, op.108 de Fauré est dédiée à Sa Majesté Elisabeth Reine des Belges. Créé par Lucien Capet et Alfred Cortot en novembre 1917 à la SNM, c’est une œuvre qui a malheureusement été incomprise par beaucoup de ses contemporains violonistes dont Ysaye, raison pour laquelle elle n’a pas été jouée autant que sa sœur op.13. Gabriel Fauré avait alors 71 ans et était atteint de surdité. Au fur et à mesure que l’on avance dans ses œuvres plus tardives, son langage se complexifie et s’enrichit de son influence à la musique grégorienne, à Palestrina, beaucoup plus évidente dans la deuxième partie de sa vie. En août-septembre 1916 à Evian, en plein milieu de la Grande Guerre, Fauré débute sa deuxième sonate pour violon qu’il achèvera en hiver de la même année à Paris. Son fils Philippe a été envoyé au Front, et malgré ses inquiétudes, les horreurs de la guerre, la sonate commence certes avec un thème agité mais est remplie d’espoir. Il y a une telle passion dans sa musique, et une telle bonté, qui fait que lorsqu’on l’écoute ou on le joue, on se sent tiré vers le haut. Ceci peut être imagé par le deuxième thème jusqu’alors dolce tranquillo qui se métamorphose en un incroyable forte espressivo à sa troisième occurrence, véritable libération et point culminant des mouvements 1 et 3. (Spoiler : oui il réapparaît dans le Final) Le deuxième mouvement est pureté et douceur. C’est pour moi une bulle isolée du monde extérieur, une longue réflexion intérieure qui passe de questionnements à une évidence que tout finira bien… Le thème refrain « avec grâce » du 3ème mouvement nous accueille ensuite, plein d’insouciance et de délicatesse. La musique retrouve ensuite l’expansion expressive du premier mouvement mais l’agitation en moins, remplacée par de l’émerveillement. Après la troisième occurrence du refrain, le tout premier thème ouvrant le premier mouvement fait sa réapparition au piano puis au violon! Mais celui-ci est transformé par le flot exalté qui l’accompagne et dans sa lancée fait apparaître notre deuxième thème libérateur une dernière fois. La boucle est bouclée. La fin est une magnifique célébration de la vie et de la joie : célébrons et soyons heureux !
Irène Duval ©2024